Moins de deux heures et demie pour aller à ski du Col de Rousset à Corrençon (40km.).
Cette épreuve sportive est unique dans les pays alpins. Elle constitue, à notre connaissance, la première tentative en Europe Latine, d’une grande course populaire de ski selon la formule du légendaire Vasalopp suédois, c’est-à-dire avec un départ groupé et un itinéraire non pas circulaire, mais linéaire, reliant deux villages éloignés l’un de l’autre. On part sans esprit de retour. Et ceci d’autant moins qu’il n’y a pas en cours de route la possibilité de s’en sortir autrement qu’en ski.
La popularité grandissante du ski de fond, et les études en cours pour doter le Vercors d’un parc naturel nous ont à plusieurs reprises fourni l’occasion d’évoquer l’univers montagnard très particulier que constituent les Hauts-Plateaux qui s’étendent au sud-est du massif, entre la zone du Glandasse et les forêts de Villard de Lans.
Il fallut une réelle audace au Comité de Ski du Dauphiné pour faire de cette grande classique des randonneurs prenant bien leur temps et leurs précautions, une course de vitesse au départ de laquelle on s’alignerait avec la tenue d’un athlète et des skis ultra-légers du fondeur nordique.
L’an dernier, la première tentative fut engagée avec enthousiasme, mais avec un incontestable caractère expérimental. Il suffisait d’un mauvais tour du temps pour gâcher ou même tout transformer en catastrophe, sur ces plateaux que ne traverse pas la moindre route.
L’itinéraire le plus courant avait été choisi : celui qui du sud vers le nord, va du Col de Rousset au village de Corrençon. On n’avait qu’une idée très vague de la performance chronométrique que de bons spécialistes de la course pouvaient accomplir sur ce parcours. Les résultats dépassèrent toutes les espérances : les premiers, deux gendarmes de Chamonix, étaient au but, à l’heure du déjeuner, c’est-à-dire 2 h 37’ après avoir quitté le col.
A défaut d’être vraiment démystifiée, la traversée du Vercors devenait un terrain propice au sport de compétition. Et l’on décida de recommencer en 1969.
L’expérience ayant porté ses fruits, c’est à une course déjà dotée de belles infrastructures que nous avons assisté dimanche à la faveur d’un temps d’une splendeur exceptionnelle. Un hélicoptère survolait les concurrents. Un traîneau à chenillettes avait pu venir à leur rencontre en s’enfonçant jusqu’à une quinzaine de kilomètres dans la forêt. Une équipe de gendarmes de montagne avec à leur tête le colonel Percherancier, ancien champion militaire de fond, fit tout le parcours. Les chasseurs du 6e B.C.A., sous le commandement du capitaine Vantorre avaient dès la veille, tracé la piste en se relayant d’une cabane à l’autre, et avaient installé dans celles-ci le téléphone et le ravitaillement en boissons chaudes (avec le concours du Thé Lipton).
Près de 150 skieurs
Par précaution, le règlement décide que les concurrents doivent rester groupés deux à deux, et c’est le temps du second qui compte au classement. Mais pour donner à l’épreuve un caractère populaire, on admet au départ les randonneurs ne participant pas habituellement à des courses, à condition toutefois qu’ils soient très entraînés.
Dans ces conditions, ce sont près de 150 skieurs qui dimanche matin se sont envolés pour cette compétition à caractère épique.
On demeure stupéfait d’apprendre que les vainqueurs, qui sont cette fois-ci des douaniers de Savoie, ont battu la performance de l’an dernier, et qu’ils ont parcouru les quarante kilomètres en 2h 28’. Or précisons que l’on part du Col à 1240m, que l’on grimpe très rapidement à 1450, puis progressivement à 1700m et que le profil en montagnes russes est ininterrompu jusqu’à cinq kilomètres de l’arrivée.
Les premiers classés sont des sportifs de classe nationales. Pour donner de l’opération un aperçu loyal, disons aussi que de bons randonneurs terminèrent en cinq, six heures et même davantage, et que beaucoup d’autres se contentèrent de venir à la rencontre de leurs collègues, chacun selon ses moyens, donnant ainsi à la traversée du Vercors le cachet fort sympathique de la grande fête annuelle du ski nordique.
Parti comme elle nous paraît l’être, cette course pourrait bien gagner très rapidement un prestige considérable. Nous voyons très bien, avant cinq ans, un millier de coureurs d’élancer sur l’immensité blanche qui s’étire à perte de vue au pied du Veymont, et des milliers d’adeptes du ski libre encourager leurs efforts, de cabane en cabane.
C’est la secrète conviction des pionniers de cette course d’avant-garde, M. Delacroix, président de la commission du fond au Comité du Dauphiné, M. Juppet du C.A.F de l’Isère, M. Grellier, inspecteur de la Jeunesse et des Sports, et de tous ceux qui les aident avec enthousiasme.
Jean Pierre Copin, journaliste du Dauphiné Libéré, Mars 1969